Une première rencontre avec Didymo

Didymosphenia geminata, mieux connue sous le nom de Didymo, est une algue benthique qui s’est fait remarquer pour la première fois en Gaspésie à l’été 2006. En effet, une grande portion du fond de la rivière Matapédia (un tronçon de 40 km) s’était alors recouvert d’un épais tapis brunâtre, peu esthétique et inquiétant (images 1 et 2).
 

Benthique : organisme animal ou végétal qui vit au fond des eaux.

Image 1. Tapis de didymo
 
 
Image 2. Pompons de didymo
 
Espèce exotique envahissante : organisme vivant introduit par l’homme à l’extérieur de sa région naturelle capable de survivre et de se reproduire par la suite.
À l’époque, peu de connaissances étaient disponibles sur cette algue et les gestionnaires et scientifiques ont émis l’hypothèse qu’il s’agissait d’une espèce exotique envahissante. On supposait alors que sa propagation, d’une rivière à l’autre, s’effectuait par le biais des semelles des bottes-pantalon utilisées par les pêcheurs. Il s’ensuivit une vaste campagne de sensibilisation et les pêcheurs, soucieux de préserver les milieux aquatiques, ont appliqué scrupuleusement les recommandations émises. Mais, au fil des ans, la distribution de l’algue envahissante a augmenté, si bien qu’en 2014, plus de 25 rivières gaspésiennes présentaient des éclosions de tapis constituées de l’algue Didymo.
 
On sait aujourd’hui que cette algue n’est pas une espèce exotique, mais bien une espèce native à l’hémisphère nord. Sa présence a été confirmée dans les registres fossiles échantillonnés au fond du lac au Saumon, mais aussi un peu partout au nord de l’équateur.
 
Espèce native : une espèce animale ou végétale qui est présente dans un territoire donné résultant d’un processus naturel. Autrement dit, la présence de cette espèce est naturelle et ne découle pas d’une intervention humaine.

 

Une algue, deux manifestations

Les algues diatomées — dont fait partie l’algue Didymo — sont des organismes microscopiques apparus il y a environ 350 millions d’années. Elles possèdent une capsule de silice et chaque espèce présente une forme originale qui lui est propre. Elles colonisent aujourd’hui tous les écosystèmes tant en eau douce qu’en eau salée. Certaines espèces vivent en eau libre et d’autres sur un substrat, comme Didymo.
 
Didymo est invisible à l’œil nu, mais à l’aide d’un microscope, on peut constater qu’elle possède une forme particulière qui rappelle les bouteilles de boisson gazeuse en verre (image 3). Didymo peut compléter son cycle de vie sous cette forme en ne causant aucun dommage et sans même qu’on la remarque.
 
Image 3. Algue didymo à fort grossissement
(Sarah Spaulding, USGS)
 
Colonne d’eau : une colonne conceptuelle de profondeur de l’eau, partant de la surface d’une mer, d’un océan, d’une rivière ou d’un lac, jusqu’aux sédiments de fond.
Toutefois, sous l’action de plusieurs facteurs, Didymo peut présenter une manifestation dérangeante: les tapis. En effet, lorsque certains éléments nutritifs diminuent — principalement le phosphore — l’algue produit un pédoncule qui lui permet de s’éloigner du substrat auquel il s’accroche au fond de la rivière sans être entraîné par le courant. Ceci lui permet d’augmenter son apport en éléments nutritifs puisés dans la colonne d’eau. Puisque des milliers de cellules produisent ces pédoncules, il y a apparition d’un tapis brunâtre, compact et épais qui peut recouvrir une vaste superficie à la surface des roches.
 
D’autres facteurs sont impliqués dans le déclenchement de la manifestation des tapis. Des facteurs hydrologiques, comme les crues et les forts débits, sont des éléments qui défavorisent la prolifération des tapis. En Gaspésie, il a été démontré que plus les crues printanières sont hâtives et de moindre importance, plus la formation de tapis de Didymo est probable.
C’est malheureusement la tendance pour les prochaines décennies. Sous l’effet des changements climatiques, les hivers apportent moins de neige et la fonte se produit de plus en plus tôt au printemps. Ces deux éléments ont pour conséquence de modifier l’hydrologie du territoire en favorisant une crue printanière plus hâtive et de moindre importance. La production des tapis de Didymo risque donc d’être davantage présente et généralisée en Gaspésie.

 

Les conséquences de la prolifération des tapis produits par didymo

La première préoccupation concernant la présence des tapis de Didymo concerne son effet sur la salubrité des rivières : un vaste tapis de Didymo peut en effet être peu invitant à la baignade ou à la pêche. Cependant, il a été démontré que cette présence n’affecte pas la qualité de l’eau et ne représente aucun danger pour la santé humaine. Toutefois, la prolifération de Didymo sous forme de tapis extensifs a un impact important sur les communautés d’invertébrés benthiques et les écosystèmes aquatiques.
 
Lorsque les tapis recouvrent les roches du lit des rivières, ceci change considérablement l’environnement physique pour les invertébrés benthiques. Par exemple, le fond des rivières rocheuses (substrat grossier composé de graviers, galets et blocs) qui présentent un bon indice d’intégrité écologique est dominé par la présence de trois ordres d’invertébrés benthiques, dits « EPT », soit les éphéméroptères (image 4), les plécoptères (image 5) et les trichoptères (Image 6). Ces trois ordres d’insectes sont à la base de la chaîne alimentaire des rivières et sont abondamment consommés par les poissons, dont les jeunes saumons.
 
Intégrité écologique : état d’un écosystème dont la biodiversité et l’état est sain et intact.
Image 4. Larve d’éphéméroptère
 
Image 5. Larve de plécoptère
 
Image 6. Larve de trichoptère
 
Lorsque Didymo envahit le lit rocheux, l’habitat est moins propice aux différentes espèces d’EPT et favorise plutôt la présence d’autres taxons moins nutritifs comme les chironomidae (Image 7) et les oligochètes (image 8) qui s’enchevêtrent dans les pédoncules formant le tapis. Ce changement dans la communauté benthique peut avoir un impact important sur les poissons, comme les tacons, qui doivent alors investir plus d’énergie pour capturer des proies de moindre qualité.
 
Tacon : jeune saumon de moins de 10 cm et n’ayant pas encore fait de dévalaison.
Image 7. Larve de chironomidae
 
 
Image 8. Oligochètes
 

L’avenir de nos cours d’eau

L’algue Didymo est, encore aujourd’hui, présente dans les rivières de la Gaspésie. Certains tronçons présentent des pompons distribués de manière sporadique, mais d’autres présentent des recouvrements complets du lit de la rivière sur une distance de moins d’un kilomètre. Puisque les modifications de l’hydrologie dues aux changements climatiques favorisent la présence et la prolifération de l’algue Didymo, on peut s’attendre à une présence dans les rivières du nord de la Gaspésie de manière permanente.
 
Il demeure toutefois des questions relatives à son effet sur les écosystèmes des rivières. Par exemple, des recherches sont en cours pour déterminer si les tapis de Didymo ont un impact sur la construction de nids par les saumons reproducteurs, la ponte ainsi que l’éclosion et l’émergence des alevins. À ce jour, les scientifiques tentent de comprendre l’effet de l’augmentation de la présence de Didymo sur les êtres vivants de toute une rivière.
 

Comment reconnaître l’algue Didymo: 

Sous l’eau : l’algue Didymo peut être présente sous forme de pompons ou de tapis ayant l’aspect d’une laine mouillée et brunâtre.

Sur la berge (roches, branches) : aspect de papier hygiénique séché.