Exemple de tracés historiques de la rivière Mont-Louis, en Gaspésie. Les différentes couleurs dénotent la position du cours d’eau à chaque année de données disponibles, en comparaison avec la position en 2016 (bleu foncé et fond de carte).
SOURCE: Maxime Maltais, UQAR et le Gouvernement du Québec.
 
Les rivières changent dans le temps !
Au cours des dernières décennies, le nord de la Gaspésie a subi plusieurs événements météorologiques extrêmes qui ont mené à des inondations, à l’érosion des berges et à la formation d’embâcles dans les cours d’eau. Plusieurs bassins versants nord gaspésiens ont des caractéristiques qui les rendent propices à de tels phénomènes; on dit de ces cours d’eau qu’ils sont très dynamiques, car leurs tracés changent significativement avec le temps! On peut voir ces changements grâce à des données historiques, comme sur la figure ci-dessus (voir l’en-tête).
Il existe de nombreuses causes potentielles à ces changements, par exemple les modifications faites par l’humain et les événements extrêmes, tels qu’illustrés sur la photo ci-contre. Cependant, les changements dans la position et la forme d’un cours d’eau sont conséquents de son fonctionnement naturel, c’est-à-dire de sa dynamique, s’expliquant par une série de processus physiques qui surviennent à différents endroits dans un bassin versant selon ses caractéristiques.
Érosion et accumulation de sédiments à la suite d’une crue majeure sur la rivière de Mont-Saint-Pierre. 
SOURCE: Thierry Ratté, CENG.

Pourquoi les cours d’eau du nord de la Gaspésie sont-ils si dynamiques ?

Source de sédiments sur la rivière Sainte-Anne, en Gaspésie. L’érosion à la base de la falaise, combiné aux processus gravitaires, peut apporter d’importants volumes de sable et de gravier dans le cours d’eau.
SOURCE: Thomas Buffin-Bélanger, UQAR.
À priori, les fortes pentes des bassins versants du nord de la Gaspésie, combinées au régime de précipitations, favorisent une réponse hydrique torrentielle lors de la fonte des neiges ou de pluies abondantes. La faible quantité de lacs et de milieux humides dans les bassins versants, qui peuvent agir comme des éponges en absorbant une partie de l’écoulement, contribuent à cette réponse hydrologique intense. L’eau, emportée par la gravité sur les fortes pentes, s’écoule rapidement vers la mer, rencontrant peu de milieux qui permettent de ralentir son parcours.
Les forts débits qui en résultent, combinés avec la proximité des versants, des montagnes et des nombreuses sources de sédiments présentes sur le territoire, rendent les cours d’eau du nord de la Gaspésie propices à déplacer de grandes quantités de sable, de gravier et de galets. Ces sédiments mobiles, pouvant être emportés puis déposés, font changer la forme du cours d’eau au fil du temps. Pour prévoir ces changements, il faut comprendre la dynamique naturelle des cours d’eau.
Quelques notions de dynamiques des cours d’eau !

Petit lexique imagé

 
Coupe transversale et vue en plan d’une plaine alluviale schématique.
SOURCE: Lisa Michaud, CENG.

La vie d’un cours d’eau

Au fil du temps, un cours d’eau construit son lit en charriant des sédiments, tels que du sable, du gravier et des galets. Ces apports en sédiments – correspondant au débit solide d’un cours d’eau – sont transportés, entre autres, par le débit liquide du cours d’eau, et ce, selon un équilibre dynamique dépendant des caractéristiques du bassin versant. L’érosion apporte des sédiments dans le cours d’eau, qui peuvent être transportés sur des distances variables avant d’être déposés. L’érosion et la déposition de sédiments font évoluer la forme du lit du cours d’eau et sa position dans le temps. L’ensemble du territoire au sein duquel le cours d’eau s’est déjà écoulé forme la plaine alluviale.
Plaine alluviale de la rivière de Mont-Louis. Celle-ci occupe une bonne partie de la vallée.
SOURCE: Maxime Maltais et Maxime Boivin, UQAR.

Le convoyeur détraqué

Dans un bassin versant, les processus d’érosion, d’accumulation et de transport des sédiments varient dans l’espace et dans le temps. Ainsi, un bassin versant peut être divisé en différentes zones selon les processus qui y sont dominants. Le concept du convoyeur permet de bien expliquer ces variations.
Sur la figure ci-contre, on peut voir que la zone source, à l’amont de la rivière, a des pentes plus raides. De plus, le cours d’eau y est davantage confiné. Cela fait en sorte que l’érosion est le processus qui domine dans cette partie du bassin versant, c’est-à-dire qu’à cet endroit, les sédiments se font décrocher des berges ou du lit de la rivière plus souvent qu’ils ne s’y déposent.
La zone de transfert a une pente plus douce que la zone source, donc les vitesses d’écoulement de l’eau y sont relativement plus faibles. Dans cette partie, les sédiments se font transporter en fonction de la capacité de transport de la rivière, qui dépend de la vitesse d’écoulement de l’eau. Dans les zones où les vitesses sont plus faibles, ou lorsque le débit est plus bas, par exemple lors de l’étiage estival, les sédiments en provenance de la zone source sont déposés. À l’inverse, lorsque la vitesse est plus rapide, par exemple dans la zone concave d’un méandre, les sédiments peuvent être emportés. De plus, lorsque le débit augmente, en particulier lors des crues, les sédiments déposés peuvent être délogés et à nouveau transportés vers l’embouchure de la rivière. Cette zone de transfert fonctionne donc comme un convoyeur, qui s’arrête et qui repart à différents endroits, selon la configuration du cours d’eau, et, à différents moments, au gré des crues et des événements extrêmes.
La zone d’accumulation, située à l’aval de la rivière, a une pente très faible et les vitesses d’écoulement de l’eau y sont beaucoup plus lentes. La rivière n’a donc plus la capacité de transporter les sédiments et ils s’y accumulent en se déposant sur le lit du cours d’eau.
 
Schématisation d’un bassin versant sous forme de convoyeur détraqué.
SOURCE: Boivin et al., 2019. Adaptée de Brierly & Fryirs, 2005.
 Au nord de la Gaspésie, les rivières s’écoulant dans le fond des vallées correspondent majoritairement à la zone de transfert, agissant comme un « convoyeur détraqué ». Leurs caractéristiques physiques font en sorte que les sédiments présents dans le cours d’eau peuvent être facilement érodés, transportés et déposés, ce qui rend ces cours d’eau naturellement mobiles et dynamiques. Cela contribue à la diversité de nos cours d’eau et des habitats qui s’y trouvent.

Des rivières aux formes variées

Dans les zones sources, les cours d’eau forment des chenaux s’incisant dans les faiblesses de la roche. Ils s’écoulent ainsi directement sur le roc; confiné par ses berges solides, le cours d’eau ne peut pas migrer. Avec le temps, l’eau peut tranquillement éroder et dissoudre le roc. La figure ci-dessous présente un exemple d’un tel cours d’eau confiné, s’écoulant de façon relativement linéaire et stable.
La fosse aux émeraudes sur la rivière York. La rivière, s’écoulant au travers de la roche calcaire, donne un paysage de toute beauté à cette fosse à saumon prisée.
Lorsqu’un cours d’eau n’est plus confiné, sa dynamique peut lui donner différentes formes et apparences. L’érosion et la déposition de sédiments, dictées par l’équilibre dynamique de la rivière, peuvent prendre différentes formes à l’intérieur de sa plaine alluviale. Une forme omniprésente au nord de la Gaspésie est le méandre dynamique. Le courant, plus lent sur la berge intérieure (convexe), dépose des sédiments, alors qu’à l’inverse, il est plus rapide sur la berge extérieure (concave), menant à de l’érosion de ce côté. Ces processus font changer la forme du cours d’eau avec le temps. La figure ci-contre démontre cette évolution. Sur la berge convexe, la végétation est jeune à proximité du cours d’eau, dénotant son implantation récente. Plus on s’éloigne de la berge, plus la végétation est grande et implantée depuis longtemps. À l’inverse, on trouve des arbres matures sur la berge concave, en érosion, démontrant le sens de la migration du méandre. Une succession de tels méandres le long d’un cours d’eau forment une rivière dite à méandres dynamiques, serpentant dans le fond des vallées.
Méandre dynamique sur la rivière Dartmouth, en Gaspésie.
SOURCE: Thomas Buffin-Bélanger, UQAR.
Le chenal divagant de la rivière au Renard, dans la MRC de La Côte-de-Gaspé, à la suite des inondations de 2007.
SOURCE: Thomas Buffin-Bélanger, UQAR.
Il arrive que certaines crues ou des événements extrêmes apportent une grande quantité de sédiments dans un cours d’eau. Cette grande quantité de sédiments peut dépasser la capacité de transport du cours d’eau à certains endroits, engendrant leur déposition partout sur le lit du cours d’eau. La rivière forme alors un grand chenal rempli de sédiments, au travers duquel l’eau s’écoule dans plusieurs petits chenaux qui divaguent dans le chenal principal.  La grande quantité de sédiments transportés et déposés peut mener à un changement rapide de la position du cours d’eau. Un exemple de ce type de cours d’eau se retrouve à Rivière-au-Renard, à la suite des inondations de 2007 (voir la figure ci-contre).
Selon les processus et les caractéristiques d’un cours d’eau, celui-ci peut prendre diverses formes. Ces formes peuvent être dynamiques, stables, linéaires ou sinueuses; présenter un ou plusieurs chenaux; présenter des bancs d’accumulation, etc. Leur présence dépend du relief, du débit de l’eau, de la taille et de la quantité de sédiments disponibles. L’ensemble de ces formes, constituant la morphologie du cours d’eau, est le reflet de son style fluvial. Ainsi, l’identification d’un style fluvial permet de déduire les processus qui sont dominants dans un tronçon de rivière, et ce, à partir de ses caractéristiques et des formes qu’on y retrouve. En spatialisant les processus dominants dans un cours d’eau, on peut connaître le comportement de celui-ci, ce qui permet de prévoir la mobilité future de la rivière et de l’aménager en conséquence.
L’hydrogéomorphologie pour une meilleure compréhension de la dynamique naturelle des rivières
La dynamique des cours d’eau est complexe et varie dans le temps en raison de l’impact des activités humaines, des infrastructures, des changements climatiques et de l’occupation du territoire. Pour bien comprendre et prévoir l’évolution des cours d’eau, « l’hydrogéomorphologie » est très utile. Cette science étudie les formes dans le paysage qui sont construites par l’écoulement de l’eau. L’hydrogéomorphologie permet de prendre en compte non seulement le débit liquide, mais également le débit solide, les deux composantes essentielles de l’évolution des formes des cours d’eau. Puisque les rivières du nord de la Gaspésie sont propices à déplacer de grandes quantités de sédiments, avec la proximité des versants et des montagnes, ainsi qu’avec les nombreuses sources de sédiments présentes sur le territoire, l’approche hydrogéomorphologique (HGM) est tout indiquée pour brosser un meilleur portrait de la dynamique naturelle de ces rivières et prendre en compte ce dynamisme lors de l’aménagement du territoire qu’elles sillonnent.

L’espace de liberté des cours d’eau

Au Québec, la gestion des cours d’eau et de leurs aléas (p. ex. inondations, érosion) a longtemps été centrée sur le maintien ou l’implantation de bandes riveraines, la stabilisation des berges (infrastructures) ainsi que sur la cartographie des zones inondables. Dans un contexte de changements climatiques et particulièrement pour les cours d’eau dynamiques, ces approches – bénéfiques malgré tout – sont jugées insuffisantes par plusieurs experts (voir la figure ci-contre). Dans un environnement changeant, il faut reconnaître les processus dynamiques des rivières pour mieux gérer et prévoir les risques qui en découlent.
L’espace de liberté des cours d’eau prend en compte ces processus en se basant sur l’hydrogéomorphologie des rivières. Cette approche vise à identifier des espaces où le cours d’eau pourra déborder et se déplacer librement selon sa dynamique naturelle, plutôt que de confiner l’écoulement de l’eau et des sédiments dans un tracé artificiel créé ou maintenu par les interventions humaines. Redonner cet espace de liberté aux cours d’eau permet ainsi de maintenir leurs fonctions naturelles et, du même coup, les services écologiques (p. ex. l’atténuation des crues) fournis par les habitats riverains et les milieux humides dépendant de cet espace. De plus, la reconnaissance d’un tel espace de liberté permet de diminuer les risques pour les infrastructures et la sécurité publique en s’assurant d’occuper cet espace judicieusement.
La rivière Gros-Morne à la suite du passage de la tempête Arthur, en 2014. La crue a donné un nouveau tracé à la rivière, rendant le pont obsolète, puisque la rivière avait besoin d’un espace deux à trois fois plus grand que celui passant sous ses piliers pour y déposer les sédiments qu’elle transportait.
SOURCE: Thomas Buffin-Bélanger, UQAR.

Le CENG et la dynamique des cours d’eau

Le Conseil de l’eau du nord de la Gaspésie (CENG) travaille à mieux comprendre nos rivières afin d’aider et de promouvoir une meilleure gestion et prévention des risques naturels le long des cours d’eau de son territoire de gestion. À cette fin, le CENG participe à un projet du Laboratoire de recherche en géomorphologie et dynamique fluviale de l’Université du Québec à Rimouski financé par le « Cadre pour la prévention des sinistres » qui est géré par le ministère de la Sécurité publique du Québec. Ce projet, intitulé Développement de connaissances et d’outils pour l’analyse et la gestion des aléas hydrogéomorphologiques (HGM2) [CPS 18-19-03] a été appuyé par une contribution financière de 247 000 $ sur une durée de 22 mois. Le projet est en cours depuis mars 2019 et se terminera en décembre 2020. Cette collaboration, surnommée le projet HGM2 – nord de la Gaspésie, vise à caractériser les cours d’eau les plus dynamiques sur notre zone de gestion intégrée de l’eau, à identifier les facteurs influençant leur dynamique et à anticiper leur comportement futur par le biais d’outils d’aide à la gestion des aléas. Au cours de l’été 2019, les rivières Cap-Chat, Sainte-Anne, de Mont-Louis, de la Grande-Vallée, à Claude et de l’Anse-Pleureuse ont été caractérisées. Des campagnes terrain seront également effectuées à l’été 2020 sur les rivières au Renard, Dartmouth, York et Saint-Jean.
Des hydrogéomorphologues de l’UQAR en pleine campagne de caractérisation de la rivière Sainte-Anne.
SOURCE: Sophie Delorme, CENG.

Références:

  • Biron P. M., Buffin-Bélanger T., Larocque M., Demers S., Olsen T., Ouellet M. A., Choné G., Cloutier C. A. et M. Needelman, 2013. Espace de liberté :  un cadre de gestion intégrée pour la conservation des cours d’eau dans un contexte de changements climatiques. Ouranos report #510014-101. http://www.ouranos.ca/media/publication/299_RapportBironetal2013.pdf
  • Boivin M., Maltais M., et T. Buffin-Bélanger, 2019. Guide d’analyse de la dynamique du bois en rivière. Guide scientifique présenté au Conseil de l’eau du Nord de la Gaspésie et à la Fondation de la Faune du Québec. 97 pages + annexes.Demers S.,
  • Olsen T. et T. Buffin-Bélanger, 2014. Développement d’une méthode hydrogéomorphologique pour mieux considérer les dynamiques hydrosédimentaires aux droits des traverses de cours d’eau du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie dans le contexte de changements climatiques et environnementaux. Laboratoire de géomorphologie et de dynamique fluviale, Université du Québec à Rimouski. Remis au ministère des Transports du Québec, décembre 2014, 202 pages.